Trois heures trente du matin. Dans la tour de régie, battue par les averses, nous avons jeté les bases de la conduite lumières. Niko aux commandes de la console, aux prises avec les pannes, enregistrant les mémoires, Marina à la prise de notes, Lauriane inquiète pour le son, Yvan et Pauline, en bas, se plaçant dans les espaces lumineux, malgré la pluie, le froid, tels des sorcières de Macbeth.
Les contres haut perchés sur la muraille, les svobodas, les gobos de feuillages, les lanternes découpées dans les boîtes de conserve... tout cela concourt superbement à l'onirisme de la pièce, cette ambiance de rêve que j'ai voulu protéger en demandant, comme en 2006, à ce qu'il n'y ait pas d'entracte. Ce qui occasionne quelque perte financière, buvette oblige, mais l'artistique prime là sur l'économique, ce que les membres du bureau ont su comprendre.
Les incantations des sorcières ont dû jouer leur rôle : nous avons pu filer le spectacle sur deux soirées, entre deux grains. Et ce soir, après le montage des gradins dans la journée, se profile le premier filage complet, costumes, son, lumières.
Je veux voir un signe favorable dans la découverte, sur la brocante organisée hier dimanche sur la place du Champ de Foire, de La maison rose, de Pierre Bergounioux. J'avais cité l'écrivain corrézien dans le programme de 2006, au sujet d'Alain-Fournier :
"Avec une pénétration qui rappelle Rimbaud, Alain-Fournier a saisi la rencontre des contraires, l'intrusion de l'ailleurs, du mouvement, de la modernité dans l'âge de lenteur qui s'attarde dans la province de la fin du XIXe siècle. Les personnages hésitent entre l'enfance mal révolue et l'âge adulte, le village et les lointains – la capitale, l'étranger, le rêve et la réalité. Il a eu, comme Charles Péguy (1873-1914), le pressentiment que la catastrophe était imminente, les heures suspendues, un peu miraculeuses, qu'ils vivaient, tout près de finir. L'urgence où il écrit s'est répercutée
dans le récit, tendu entre l'apparition d'Augustin Meaulnes, un soir de novembre -« le premier jour d'automne qui fît songer à l'hiver » - et son retour, par un beau matin de septembre, qui prélude à sa disparition définitive, sa petite fille serrée dans son manteau. »
(Bréviaire de littérature à l'usage des vivants, Bréal, 2004, p.263)
C'est Bergounioux aussi qui assure que la littérature « ne mériterait pas une heure de peine si elle ne jetait sur notre destinée, qui nous est essentiellement obscure, des clartés qui ne sont que d'elles. »
Dans La maison rose, que je n'avais jamais lu, et dont je n'ai pu me défendre de parcourir les premières pages, il se trouve qu'il évoque la maison du grand-père maternel. Or, le premier chapitre rapporte le récit que cet aïeul fit de son expérience d'artilleur au début de la guerre : " (...) grand-père pouvait douter qu'il existe encore quoi que ce soit qui s'appelle la terre, le ciel ou lui-même, grand-père (même si alors il n'était pas grand-père mais un homme de vingt-deux ans occupé à déboucher des obus au-dessus de la route de Nanteuil-le-Haudoin, le 9 septembre 1914)."
Cet homme de vingt-deux ans, c'est Paul Poignas, c'est Alex qui joue ce rôle. Un peu plus loin, je lis : "Les créatures des rêves ne sauraient deviner quelle sorte de clarté succède à la lumière des songes." Et cela me renvoie aussitôt par un jeu d'échos à cette réplique de Paul à Merlin :
Je rêve, c'est ça, je rêve. Eh, vous, dites-le que je rêve. Jouez pas au grand génie avec moi, ça
ne prend pas. La vérité c'est que j'ai dû prendre un éclat d'obus et je suis en proie à une fièvre qui me fait délirer. Et ce cauchemar où je suis n'en finit pas. Je sais que vous n'êtes qu'une créature de songe, mais aidez-moi, bon sang, à sortir de là !
Les contres haut perchés sur la muraille, les svobodas, les gobos de feuillages, les lanternes découpées dans les boîtes de conserve... tout cela concourt superbement à l'onirisme de la pièce, cette ambiance de rêve que j'ai voulu protéger en demandant, comme en 2006, à ce qu'il n'y ait pas d'entracte. Ce qui occasionne quelque perte financière, buvette oblige, mais l'artistique prime là sur l'économique, ce que les membres du bureau ont su comprendre.
Les incantations des sorcières ont dû jouer leur rôle : nous avons pu filer le spectacle sur deux soirées, entre deux grains. Et ce soir, après le montage des gradins dans la journée, se profile le premier filage complet, costumes, son, lumières.
Je veux voir un signe favorable dans la découverte, sur la brocante organisée hier dimanche sur la place du Champ de Foire, de La maison rose, de Pierre Bergounioux. J'avais cité l'écrivain corrézien dans le programme de 2006, au sujet d'Alain-Fournier :
"Avec une pénétration qui rappelle Rimbaud, Alain-Fournier a saisi la rencontre des contraires, l'intrusion de l'ailleurs, du mouvement, de la modernité dans l'âge de lenteur qui s'attarde dans la province de la fin du XIXe siècle. Les personnages hésitent entre l'enfance mal révolue et l'âge adulte, le village et les lointains – la capitale, l'étranger, le rêve et la réalité. Il a eu, comme Charles Péguy (1873-1914), le pressentiment que la catastrophe était imminente, les heures suspendues, un peu miraculeuses, qu'ils vivaient, tout près de finir. L'urgence où il écrit s'est répercutée
dans le récit, tendu entre l'apparition d'Augustin Meaulnes, un soir de novembre -« le premier jour d'automne qui fît songer à l'hiver » - et son retour, par un beau matin de septembre, qui prélude à sa disparition définitive, sa petite fille serrée dans son manteau. »
(Bréviaire de littérature à l'usage des vivants, Bréal, 2004, p.263)
C'est Bergounioux aussi qui assure que la littérature « ne mériterait pas une heure de peine si elle ne jetait sur notre destinée, qui nous est essentiellement obscure, des clartés qui ne sont que d'elles. »
Dans La maison rose, que je n'avais jamais lu, et dont je n'ai pu me défendre de parcourir les premières pages, il se trouve qu'il évoque la maison du grand-père maternel. Or, le premier chapitre rapporte le récit que cet aïeul fit de son expérience d'artilleur au début de la guerre : " (...) grand-père pouvait douter qu'il existe encore quoi que ce soit qui s'appelle la terre, le ciel ou lui-même, grand-père (même si alors il n'était pas grand-père mais un homme de vingt-deux ans occupé à déboucher des obus au-dessus de la route de Nanteuil-le-Haudoin, le 9 septembre 1914)."
Cet homme de vingt-deux ans, c'est Paul Poignas, c'est Alex qui joue ce rôle. Un peu plus loin, je lis : "Les créatures des rêves ne sauraient deviner quelle sorte de clarté succède à la lumière des songes." Et cela me renvoie aussitôt par un jeu d'échos à cette réplique de Paul à Merlin :
Je rêve, c'est ça, je rêve. Eh, vous, dites-le que je rêve. Jouez pas au grand génie avec moi, ça
ne prend pas. La vérité c'est que j'ai dû prendre un éclat d'obus et je suis en proie à une fièvre qui me fait délirer. Et ce cauchemar où je suis n'en finit pas. Je sais que vous n'êtes qu'une créature de songe, mais aidez-moi, bon sang, à sortir de là !