Terminé la lecture des Carnets de guerre de Louis Barthas, que j'avais trouvés cet été à la Foire du Livre d'Angles-sur-Anglin. 550 pages qui couvrent toute la guerre, et même au-delà car l'auteur ne fut libéré de ses obligations militaires que le 14 février 1919. Il aura connu quatre longs hivers au front, ne dormant pratiquement jamais dans un lit, ayant échappé de multiples fois à une mort toute proche. La précision de son témoignage, lieux, faits, routes, anecdotes, est impressionnante. Dès le début du conflit, il n'a cessé d'écrire sur ce qu'il vivait, et, au retour du front, dans son Midi natal, il a transcrit sur dix-neuf cahiers d'écolier toutes ses notes. Aucun souci d'être publié (d'ailleurs l'aurait-il été même s'il l'avait voulu ? il y a une telle charge critique contre la guerre et la hiérarchie militaire qu'on peut légitimement en douter), mais il écrivait pour la postérité, pour que l'on n'oublie pas les souffrances des poilus.
Certains ont suspecté ce témoignage à cause de l'antimilitarisme déclaré de Barthas. Mais cette prise de position est justement assumée, il ne se pique pas d'objectivité et raconte les choses comme il les ressent, et par ailleurs, il n'a jamais refusé de combattre, ne s'est jamais défilé, n'a jamais intrigué pour être porté malade, et il faudra attendre l'année 1918 pour qu'on s'émeuve de sa maigreur et de son état d'épuisement. C'est un homme courageux, digne, toujours curieux des autres et des pays traversés, très pudique sur l'intime (presque aucune mention des siens, même si ses rares permissions, traitées en quelques lignes, laissent entrevoir une immense émotion à retrouver sa famille). Plusieurs fois, il s'opposera à ses chefs quand les ordres lui apparaitront absurdes et meurtriers. Il aura des mots très durs pour les officiers indifférents à la misère des soldats, tatillons, procéduriers et parfois couards, mais il saura aussi reconnaître a contrario les mérites et le courage de certains, compréhensifs et attentifs à soulager les peines du poilu.
L'écriture n'est pas celle d'un grand écrivain, mais elle est d'une grande tenue, en ce sens qu'elle évite le pathos et ne cherche pas l'effet littéraire. On l'a parfois comparé à Henri Barbusse, qui connut le succès avec Le Feu, dès 1916, mais la langue est très différente. Pas d'argot chez Barthas (il note d'ailleurs avec humour que les poilus parisiens n'appellent jamais les choses par leur vrai nom), il use parfois de l'imparfait du subjonctif : c'est un pur produit de l'école républicaine, premier du canton au certificat d'études, prix du Conseil général de l'Aude, grand lecteur de Hugo, Zola, Anatole France et même Karl Marx. A son retour, il reprendra son travail de tonnelier à Peyriac-Minervois.
La bande dessinée de Kris et Maël dont je parlai naguère lui doit beaucoup. Kris reconnaît lui-même qu'un extrait du livre a été l'élément déclencheur de son histoire. "Il y avait notamment cet épisode où il raconte, sur deux ou trois pages, comment il a dirigé une section d'adolescents délinquants qui sortaient de prison. Cette anecdote m'a mis la puce à l'oreille. Il y avait quelque chose d'intéressant à creuser..."
Certains ont suspecté ce témoignage à cause de l'antimilitarisme déclaré de Barthas. Mais cette prise de position est justement assumée, il ne se pique pas d'objectivité et raconte les choses comme il les ressent, et par ailleurs, il n'a jamais refusé de combattre, ne s'est jamais défilé, n'a jamais intrigué pour être porté malade, et il faudra attendre l'année 1918 pour qu'on s'émeuve de sa maigreur et de son état d'épuisement. C'est un homme courageux, digne, toujours curieux des autres et des pays traversés, très pudique sur l'intime (presque aucune mention des siens, même si ses rares permissions, traitées en quelques lignes, laissent entrevoir une immense émotion à retrouver sa famille). Plusieurs fois, il s'opposera à ses chefs quand les ordres lui apparaitront absurdes et meurtriers. Il aura des mots très durs pour les officiers indifférents à la misère des soldats, tatillons, procéduriers et parfois couards, mais il saura aussi reconnaître a contrario les mérites et le courage de certains, compréhensifs et attentifs à soulager les peines du poilu.
L'écriture n'est pas celle d'un grand écrivain, mais elle est d'une grande tenue, en ce sens qu'elle évite le pathos et ne cherche pas l'effet littéraire. On l'a parfois comparé à Henri Barbusse, qui connut le succès avec Le Feu, dès 1916, mais la langue est très différente. Pas d'argot chez Barthas (il note d'ailleurs avec humour que les poilus parisiens n'appellent jamais les choses par leur vrai nom), il use parfois de l'imparfait du subjonctif : c'est un pur produit de l'école républicaine, premier du canton au certificat d'études, prix du Conseil général de l'Aude, grand lecteur de Hugo, Zola, Anatole France et même Karl Marx. A son retour, il reprendra son travail de tonnelier à Peyriac-Minervois.
La bande dessinée de Kris et Maël dont je parlai naguère lui doit beaucoup. Kris reconnaît lui-même qu'un extrait du livre a été l'élément déclencheur de son histoire. "Il y avait notamment cet épisode où il raconte, sur deux ou trois pages, comment il a dirigé une section d'adolescents délinquants qui sortaient de prison. Cette anecdote m'a mis la puce à l'oreille. Il y avait quelque chose d'intéressant à creuser..."
L'extrait
"Un soir en rentrant du travail, nous trouvâmes autour de l'abri une trentaine de jeunes gens, engagés volontaires ou forcés des classes 17 et 18 non encore appelés. Maigres, imberbes, pâles, le regard effronté, le verbe haut insolent du Gavroche parisien, c'était comme on dit des gars "dessalés", malgré que quelques-uns aient des figures de jeunes filles ou de gamins de quinze ans. Quelques-uns venaient tout doit de la maison de correction, d'autres, garçons livreurs, avaient oublié de rapporter à leur patron l'argent de quelque client, certains employés de postes avaient eu l'indiscrétion de fouiller le contenu des lettres. L'un d'eux n'avait rien trouvé de mieux que d'enlever une demoiselle de quatorze ans qu'on ne voulait pas lui donner en mariage..."
(Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918, éd. François Maspéro, p. 330)
C'est dans un moment comme celui-ci qu'on voit bien l'humanité de Barthas. Lui, fier de son appartenance méridionale, se prend d'affection pour ces jeunes types pourtant si différents de lui, et cette bienveillance est payée de retour, car ils finissent eux aussi par aimer ce caporal qui sait prendre soin d'eux.
Beaucoup de livres sortent en ce moment sur la guerre 14-18, et certains excellents bien sûr, mais si vous ne deviez lire qu'un seul volume sur cette tragédie, je vous conseille sans hésiter celui-ci. Oui, lisez Louis Barthas.
Beaucoup de livres sortent en ce moment sur la guerre 14-18, et certains excellents bien sûr, mais si vous ne deviez lire qu'un seul volume sur cette tragédie, je vous conseille sans hésiter celui-ci. Oui, lisez Louis Barthas.
PS : Une curiosité : regardez attentivement le col de l'uniforme sur la photo du livre. On y voit le nombre 80, le numéro du régiment. Or, sur les costumes de 2006, c'est le même nombre qui est présent.
Coïncidence ? Je songe aussi que celles ou ceux qui ont conçu ces costumes de cinéma se sont peut-être inspirés de cette même couverture de livre, en une sorte d'hommage discret à Louis Barthas. Ce n'est qu'une hypothèse.
Par ailleurs, rien ne dit que ce portrait est celui de Barthas. Rien n'est mentionné en ce sens à l'intérieur du livre. Barthas n'ayant jamais appartenu au 80ème régiment (mais au 280ème et au 296ème), il est même à peu près certain qu'il ne s'agit pas de lui. Étonnante absence d'image : le cahier iconographique du livre ne propose aucun portrait de Louis Barthas, seulement une vue lointaine sur une carte postale qui, même agrandie, ne livre pas grand chose de l'homme.
Coïncidence ? Je songe aussi que celles ou ceux qui ont conçu ces costumes de cinéma se sont peut-être inspirés de cette même couverture de livre, en une sorte d'hommage discret à Louis Barthas. Ce n'est qu'une hypothèse.
Par ailleurs, rien ne dit que ce portrait est celui de Barthas. Rien n'est mentionné en ce sens à l'intérieur du livre. Barthas n'ayant jamais appartenu au 80ème régiment (mais au 280ème et au 296ème), il est même à peu près certain qu'il ne s'agit pas de lui. Étonnante absence d'image : le cahier iconographique du livre ne propose aucun portrait de Louis Barthas, seulement une vue lointaine sur une carte postale qui, même agrandie, ne livre pas grand chose de l'homme.