Je suis abonné depuis plusieurs années aux Notules dominicales de culture domestique, que son auteur présente ainsi sur le site dédié : "Recension critique hebdomadaire des livres lus pendant la semaine,
accompagnée d'un aperçu sur certains chantiers en cours
et de quelques considérations plus ou moins inintéressantes sur ma trépidante existence."
Ce qui donne le ton... Spinalien (autrement dit habitant d'Epinal dans les Vosges, dont il ne manque pas de supporter la brillante équipe de foot qui stagne en division inférieure), l'auteur, professeur de français en collège, marié à une pharmacienne, déroule chaque dimanche la chronique ironique, modeste et tendre de ses chantiers littéraires et paralittéraires. Son Invent'Hair, par exemple, ne manque pas de charme, qui consiste à recenser les salons de coiffure à jeux de mots, espèce prolifique. De nombreux contributeurs lui envoient leurs propres trouvailles. Dans un bilan récent, il s'avérait que seuls quelques départements n'étaient pas entrés dans sa base de données, dont l'Indre faisait hélas partie ; aussi me suis-je fait un devoir de lui expédier un cliché du salon Hair marins, sis bien entendu Avenue des Marins à Châteauroux. Ce dont il m'a remercié avec chaleur.
Autre chantier : l'IPAD, autrement dit l' Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental. Chaque fin de semaine, notre homme va enquêter sur le monument aux morts d'une commune, ceci en suivant l'ordre alphabétique de la liste des communes des Vosges (21 378 km cumulés à ce jour). Une saine occupation.
J'ai indiqué le lien vers le site, mais il faut savoir que celui-ci n'est plus mis à jour depuis 2011. Philippe Didion n'a que peu de goût pour la chose numérique. Quand le copain qui gérait le site n'a plus eu le temps de le faire, il a laissé tomber, et désormais il faut s'abonner pour recevoir les notules par courriel, que le lascar maîtrise à peu près.
Bon, mais me direz-vous, que vient faire ce vosgien sur ce blog berrichon consacré à une pièce sur la guerre de 14 ? Les monuments aux morts ? Non, simplement une courte chronique dans sa dernière livraison, que voici :
MARDI. Lecture. Le livre de "Quinze Grammes", caporal (Jean Arbousset, Georges Crès et C., 1917, rééd. Aux éditions Obsidianes, 2013; 72 p., 12 €). Dans la masse de livres qui sortent à l'occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, il serait dommage que celui-ci passe inaperçu. Cette mince plaquette rassemble ni plus ni moins que les oeuvres complètes de Jean Arbousset, dit "Quinze Grammes", mort au combat le 9 juin 1918 à l'âge de 23 ans. Jean Arbousset fut appelé avec la classe 1915 alors qu'il s'apprêtait à intégrer l'Ecole Normale Supérieure, et on peut imaginer qu'un bon bagage littéraire accompagnait son paquetage quand il participa aux batailles d'Argonne, de Champagne, de la Somme, de l'Aisne et de Lorraine. A la lecture des poèmes qu'il composa au front et parvint à faire éditer en 1917, on devine aisément qu'il a lu Apollinaire, Cendrars, qu'il connaît Georges Fourest et Jean Richepin. Ses pièces prennent parfois une forme classique, la ballade, le sonnet, le rondeau, ailleurs on trouve des sortes de chansons et des textes de forme plus libre. Ce sont des instantanés, des scènes de la vie du soldat - la vue d'un cheval mort, la mort du sapeur dans la mine, l'ambulance qui ne peut embarquer les blessés parce que leur nombre ne suffit pas à la remplir - qui portent parfois quelques piques destinées aux gradés et aux embusqués de l'arrière. Une vingtaine de poèmes qui suffisent à tout dire de cette guerre et, parmi eux, une merveille.
QUELQUES MOTS
A ma mère.
Lorsque la mort viendra chez vous,
ouvrez toutes grandes vos portes,
ouvrez vos portes avec amour
et bénissez avec amour ce qu'elle apporte
à celui qui n'est plus à vous :
ces pleurs de l'amitié,
ces fleurs de pitié
dans la chambre blanche effeuillées
en tapis de douceur où marchera son âme...
Lorsque la mort viendra,
comme une bonne femme
tout simplement, tout bêtement, faucher un corps
chez vous,
aimez jusqu'au détail du funèbre décor,
et si vous êtes pauvre vous aimerez encore
jusqu'à ce triste bruit des clous
dans le sapin, dans les planches jointes à peine,
parce qu'il a manqué des sous
pour un cercueil de chêne
aux vis silencieuses
comme des veilleuses.
Et si le mort était un frêle poitrinaire,
vous aimerez le lent calvaire
de sa chair arrachée pétale par pétale
aux ronces de sa route pâle.
Car tous ceux-là sont morts dans le lit de famille
leur mère, s'ils étaient enfants,
et, s'ils étaient âgés, leur fille
leur a serré les dents,
clos
les yeux
et joui des moments
du soin minutieux, presque dévot.
Mais d'autres meurent dans la boue,
sans bras, sans jambes et sans joues;
on les enterre n'importe où,
souvent on ne met rien du tout
sur leur tombe.
On les enterre là où ils tombent.
Ceux qui ne les ont pas aperçus
marchent dessus.
Lorsque la mort viendra chez vous,
ouvrez toutes grandes vos portes
et bénissez cette joie forte
de pouvoir vous mettre à genoux.
Vauquois, 1915.
Sur ce livre, on peut lire aussi cette chronique sur Lekti-Ecriture.
Je voudrais signaler pour finir que, quoique vosgien, l'auteur aime à passer ses vacances en Creuse, après plusieurs séjours roboratifs à Mézières-sur-Issoire, en Haute-Vienne, le village où des moutons (en sculptures) broutent en liberté sur les trottoirs. Un tel esprit d'aventure ne peut que susciter notre sympathie.
accompagnée d'un aperçu sur certains chantiers en cours
et de quelques considérations plus ou moins inintéressantes sur ma trépidante existence."
Ce qui donne le ton... Spinalien (autrement dit habitant d'Epinal dans les Vosges, dont il ne manque pas de supporter la brillante équipe de foot qui stagne en division inférieure), l'auteur, professeur de français en collège, marié à une pharmacienne, déroule chaque dimanche la chronique ironique, modeste et tendre de ses chantiers littéraires et paralittéraires. Son Invent'Hair, par exemple, ne manque pas de charme, qui consiste à recenser les salons de coiffure à jeux de mots, espèce prolifique. De nombreux contributeurs lui envoient leurs propres trouvailles. Dans un bilan récent, il s'avérait que seuls quelques départements n'étaient pas entrés dans sa base de données, dont l'Indre faisait hélas partie ; aussi me suis-je fait un devoir de lui expédier un cliché du salon Hair marins, sis bien entendu Avenue des Marins à Châteauroux. Ce dont il m'a remercié avec chaleur.
Autre chantier : l'IPAD, autrement dit l' Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental. Chaque fin de semaine, notre homme va enquêter sur le monument aux morts d'une commune, ceci en suivant l'ordre alphabétique de la liste des communes des Vosges (21 378 km cumulés à ce jour). Une saine occupation.
J'ai indiqué le lien vers le site, mais il faut savoir que celui-ci n'est plus mis à jour depuis 2011. Philippe Didion n'a que peu de goût pour la chose numérique. Quand le copain qui gérait le site n'a plus eu le temps de le faire, il a laissé tomber, et désormais il faut s'abonner pour recevoir les notules par courriel, que le lascar maîtrise à peu près.
Bon, mais me direz-vous, que vient faire ce vosgien sur ce blog berrichon consacré à une pièce sur la guerre de 14 ? Les monuments aux morts ? Non, simplement une courte chronique dans sa dernière livraison, que voici :
MARDI. Lecture. Le livre de "Quinze Grammes", caporal (Jean Arbousset, Georges Crès et C., 1917, rééd. Aux éditions Obsidianes, 2013; 72 p., 12 €). Dans la masse de livres qui sortent à l'occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, il serait dommage que celui-ci passe inaperçu. Cette mince plaquette rassemble ni plus ni moins que les oeuvres complètes de Jean Arbousset, dit "Quinze Grammes", mort au combat le 9 juin 1918 à l'âge de 23 ans. Jean Arbousset fut appelé avec la classe 1915 alors qu'il s'apprêtait à intégrer l'Ecole Normale Supérieure, et on peut imaginer qu'un bon bagage littéraire accompagnait son paquetage quand il participa aux batailles d'Argonne, de Champagne, de la Somme, de l'Aisne et de Lorraine. A la lecture des poèmes qu'il composa au front et parvint à faire éditer en 1917, on devine aisément qu'il a lu Apollinaire, Cendrars, qu'il connaît Georges Fourest et Jean Richepin. Ses pièces prennent parfois une forme classique, la ballade, le sonnet, le rondeau, ailleurs on trouve des sortes de chansons et des textes de forme plus libre. Ce sont des instantanés, des scènes de la vie du soldat - la vue d'un cheval mort, la mort du sapeur dans la mine, l'ambulance qui ne peut embarquer les blessés parce que leur nombre ne suffit pas à la remplir - qui portent parfois quelques piques destinées aux gradés et aux embusqués de l'arrière. Une vingtaine de poèmes qui suffisent à tout dire de cette guerre et, parmi eux, une merveille.
QUELQUES MOTS
A ma mère.
Lorsque la mort viendra chez vous,
ouvrez toutes grandes vos portes,
ouvrez vos portes avec amour
et bénissez avec amour ce qu'elle apporte
à celui qui n'est plus à vous :
ces pleurs de l'amitié,
ces fleurs de pitié
dans la chambre blanche effeuillées
en tapis de douceur où marchera son âme...
Lorsque la mort viendra,
comme une bonne femme
tout simplement, tout bêtement, faucher un corps
chez vous,
aimez jusqu'au détail du funèbre décor,
et si vous êtes pauvre vous aimerez encore
jusqu'à ce triste bruit des clous
dans le sapin, dans les planches jointes à peine,
parce qu'il a manqué des sous
pour un cercueil de chêne
aux vis silencieuses
comme des veilleuses.
Et si le mort était un frêle poitrinaire,
vous aimerez le lent calvaire
de sa chair arrachée pétale par pétale
aux ronces de sa route pâle.
Car tous ceux-là sont morts dans le lit de famille
leur mère, s'ils étaient enfants,
et, s'ils étaient âgés, leur fille
leur a serré les dents,
clos
les yeux
et joui des moments
du soin minutieux, presque dévot.
Mais d'autres meurent dans la boue,
sans bras, sans jambes et sans joues;
on les enterre n'importe où,
souvent on ne met rien du tout
sur leur tombe.
On les enterre là où ils tombent.
Ceux qui ne les ont pas aperçus
marchent dessus.
Lorsque la mort viendra chez vous,
ouvrez toutes grandes vos portes
et bénissez cette joie forte
de pouvoir vous mettre à genoux.
Vauquois, 1915.
Sur ce livre, on peut lire aussi cette chronique sur Lekti-Ecriture.
Je voudrais signaler pour finir que, quoique vosgien, l'auteur aime à passer ses vacances en Creuse, après plusieurs séjours roboratifs à Mézières-sur-Issoire, en Haute-Vienne, le village où des moutons (en sculptures) broutent en liberté sur les trottoirs. Un tel esprit d'aventure ne peut que susciter notre sympathie.