Pas écrit ici depuis quelques semaines. Est-ce à dire que c'est statu quo sur le projet ? Non, loin de là. Je m'en vais sur l'heure vous montrer le contraire, ça risque d'être un peu en vrac, mais le désir de tout ordonner me manque. Allons-y donc de manière décousue, comme s'il en allait d'une bonne vieille conversation où l'on se fiche bien de respecter un quelconque ordre du jour.
Sur le front des lectures, après Ceux de 14, j'ai découvert Compagnie K, le grand classique américain de la guerre de 14, écrit par William March (1983 - 1954), publié en 1933, et seulement traduit cette année en français. Salué unanimement comme un chef d’œuvre, on se demande pourquoi une si longue traversée du désert. La teneur du livre n'y est sans doute pas pour rien : composé de 113 courts chapitres, chacun dévolu à un soldat ou à un officier de cette compagnie K qui prend part aux combats à partir de décembre 1917, il trace un portrait douloureux, sans concessions, des quelques mois terribles qui vont s'écouler jusqu'à l'armistice. Il témoigne en tout état de cause d'une sorte de transformation de l'esprit qui régnait alors sur le front. Je m'explique : alors que les combats sont aussi meurtriers, aussi abominables qu'en 1914 et 1915, que les souffrances sont aussi grandes, par exemple, que sur la colline des Eparges, les relations humaines, elles, se sont fortement dégradées. La confiance assez grande des hommes envers leurs officiers, l'attention, à quelques exceptions près, de ceux-ci pour ceux-là, semble avoir fait long feu dans les rangs de l'armée américaine. La suspicion, l'incompréhension, la haine ont remplacé les sentiments parfois presque filiaux qui unissaient les officiers à leurs hommes : dans le recoin d'une tranchée, un soldat n'hésite pas à tuer son lieutenant parce que celui-ci le harcèle de missions.
De même, l'attitude envers l'ennemi a évolué. Si Genevoix parle sans détour des Boches, il existe encore un respect du soldat d'en face. La preuve en est qu'au plus fort de la bataille des Eparges, sous le feu roulant continuel des obus, la découverte d'un officier allemand au fond d'un puits ne déclenche pas d'hostilité particulière : l'homme est remonté, et l'on s'occupe dignement de lui.
Au lieu que l'on assiste, chez March, à une scène terrible où des soldats allemands sont emmenés dans une carrière et liquidés purement et simplement. On aurait maintenant tort de penser que cette sorte de traitement n'existait que dans les troupes US.
Ceci semble bien illustrer la théorie de la brutalization, formulée par George Moss, et que reprend dans un entretien l'historienne Annette Becker dans le Hors-série de l'Express consacré à la guerre :
" Comprendre 14-18 passe par l'idée de "brutalization", un concept inventé par l'historien américain George Moss au milieu des années 1960, mal traduit en français par le mot "brutalisation" (mieux vaudrait employer le néologisme "ensauvagement"). Dans un livre majeur, The Nationalization of the Masses, qui n'a curieusement jamais connu d'édition française, Moss explique le processus mental du fascisme et du nazisme par la généralisation de la violence à toute la société. D'abord on subit la brutalité organisée, puis le fait de se trouver dans des conditions extrêmes vous rend vous-même brutal. Là réside l'une des clés du premier conflit mondial. C'est là aussi que le bât blesse : nous avons du mal à accepter que nos aïeux aient été eux-mêmes brutaux."
Bon. Parlons maintenant du projet proprement dit. L'Assemblée générale du Manteau d'Arlequin a eu lieu récemment, et j'en ai donc profité pour présenter au public présent les linéaments de cette nouvelle mouture. A ma grande satisfaction, j'ai pu le soir-même compléter ma patrouille de poilus. Les rôles des quatre soldats de la première scène, le personnage principal et les trois acolytes qui deviendront les trois comédiens du Capitaine Fracasse, sont maintenant attribués. La distribution de manière plus générale commence à prendre forme. Il est encore trop tôt pour la dévoiler, mais sachez qu'elle en bonne voie.
J'ai eu aussi le plaisir de recevoir le projet d'affiche de mon ami Christophe Bailly. Dont je ne vois pas de raison valable de le garder secret plus longtemps. D'autres projets peuvent être présentés - j'encourage tous ceux que ça intéresse à se mettre à l’œuvre - mais celui-ci est d'ores et déjà une bien belle réalisation.
Sur le front des lectures, après Ceux de 14, j'ai découvert Compagnie K, le grand classique américain de la guerre de 14, écrit par William March (1983 - 1954), publié en 1933, et seulement traduit cette année en français. Salué unanimement comme un chef d’œuvre, on se demande pourquoi une si longue traversée du désert. La teneur du livre n'y est sans doute pas pour rien : composé de 113 courts chapitres, chacun dévolu à un soldat ou à un officier de cette compagnie K qui prend part aux combats à partir de décembre 1917, il trace un portrait douloureux, sans concessions, des quelques mois terribles qui vont s'écouler jusqu'à l'armistice. Il témoigne en tout état de cause d'une sorte de transformation de l'esprit qui régnait alors sur le front. Je m'explique : alors que les combats sont aussi meurtriers, aussi abominables qu'en 1914 et 1915, que les souffrances sont aussi grandes, par exemple, que sur la colline des Eparges, les relations humaines, elles, se sont fortement dégradées. La confiance assez grande des hommes envers leurs officiers, l'attention, à quelques exceptions près, de ceux-ci pour ceux-là, semble avoir fait long feu dans les rangs de l'armée américaine. La suspicion, l'incompréhension, la haine ont remplacé les sentiments parfois presque filiaux qui unissaient les officiers à leurs hommes : dans le recoin d'une tranchée, un soldat n'hésite pas à tuer son lieutenant parce que celui-ci le harcèle de missions.
De même, l'attitude envers l'ennemi a évolué. Si Genevoix parle sans détour des Boches, il existe encore un respect du soldat d'en face. La preuve en est qu'au plus fort de la bataille des Eparges, sous le feu roulant continuel des obus, la découverte d'un officier allemand au fond d'un puits ne déclenche pas d'hostilité particulière : l'homme est remonté, et l'on s'occupe dignement de lui.
Au lieu que l'on assiste, chez March, à une scène terrible où des soldats allemands sont emmenés dans une carrière et liquidés purement et simplement. On aurait maintenant tort de penser que cette sorte de traitement n'existait que dans les troupes US.
Ceci semble bien illustrer la théorie de la brutalization, formulée par George Moss, et que reprend dans un entretien l'historienne Annette Becker dans le Hors-série de l'Express consacré à la guerre :
" Comprendre 14-18 passe par l'idée de "brutalization", un concept inventé par l'historien américain George Moss au milieu des années 1960, mal traduit en français par le mot "brutalisation" (mieux vaudrait employer le néologisme "ensauvagement"). Dans un livre majeur, The Nationalization of the Masses, qui n'a curieusement jamais connu d'édition française, Moss explique le processus mental du fascisme et du nazisme par la généralisation de la violence à toute la société. D'abord on subit la brutalité organisée, puis le fait de se trouver dans des conditions extrêmes vous rend vous-même brutal. Là réside l'une des clés du premier conflit mondial. C'est là aussi que le bât blesse : nous avons du mal à accepter que nos aïeux aient été eux-mêmes brutaux."
Bon. Parlons maintenant du projet proprement dit. L'Assemblée générale du Manteau d'Arlequin a eu lieu récemment, et j'en ai donc profité pour présenter au public présent les linéaments de cette nouvelle mouture. A ma grande satisfaction, j'ai pu le soir-même compléter ma patrouille de poilus. Les rôles des quatre soldats de la première scène, le personnage principal et les trois acolytes qui deviendront les trois comédiens du Capitaine Fracasse, sont maintenant attribués. La distribution de manière plus générale commence à prendre forme. Il est encore trop tôt pour la dévoiler, mais sachez qu'elle en bonne voie.
J'ai eu aussi le plaisir de recevoir le projet d'affiche de mon ami Christophe Bailly. Dont je ne vois pas de raison valable de le garder secret plus longtemps. D'autres projets peuvent être présentés - j'encourage tous ceux que ça intéresse à se mettre à l’œuvre - mais celui-ci est d'ores et déjà une bien belle réalisation.
Vous aurez peut-être reconnu la photo qui accompagne le texte de la page d'accueil du site. Cette photo m'accompagne depuis longtemps, depuis 2005, où elle m'avait été confiée par l'ami Bernard. Le jeune poilu assis à droite n'est autre que son grand-père. Son regard doux, l'ombre de moustache , ses mains sagement posées sur le pantalon, tout cela formait comme un contrepoint aux regards plus durs ou plus farouches des trois autres soldats. La coïncidence de cette photo avec le texte déjà écrit au moment où j'ai touché ce cliché m'avait déjà donné envie d'en faire le support visuel du spectacle. Le travail graphique de Christophe, le jeu des couleurs donnent encore plus de puissance à ce quatuor.
Pour en revenir aux sources documentaires, je signale que j'ai déposé d'autres ressources sur la partie Documentation. D'excellents sites ne cessent de voir le jour autour de la Grande Guerre. Des documents étonnants sont exhumés comme ce film de la BDIC, visible sur le site de la Mission Centenaire, Après les combats de Bois-le-Prêtre. Les combats de Bois-le-Prêtre ayant eu lieu de septembre 1914 à juillet 1915, on se trouve bien ici en été 1915. La séquence qui ouvre le film est éloquente : on y voit les soldats empiler les cadavres sur une charrette, comme s'il s'agissait d'une tâche routinière.
Pour en revenir aux sources documentaires, je signale que j'ai déposé d'autres ressources sur la partie Documentation. D'excellents sites ne cessent de voir le jour autour de la Grande Guerre. Des documents étonnants sont exhumés comme ce film de la BDIC, visible sur le site de la Mission Centenaire, Après les combats de Bois-le-Prêtre. Les combats de Bois-le-Prêtre ayant eu lieu de septembre 1914 à juillet 1915, on se trouve bien ici en été 1915. La séquence qui ouvre le film est éloquente : on y voit les soldats empiler les cadavres sur une charrette, comme s'il s'agissait d'une tâche routinière.
L'horreur de cette bataille a inspiré une chanson, évoquée dans le Hors-série de Télérama, 14/18, L'onde de choc dans la culture française,
et dont voici le deuxième couplet :
On est terré comme un renard,
On est tiré comme un canard,
Si l'on sort, gare au traquenard
Où l'on s'empêtre .....
Dès que l'on quitte son bourbier
On reçoit un lingot d'acier,
Car l'on est chasseur et gibier
Au Bois- le-Prêtre !
et dont voici le deuxième couplet :
On est terré comme un renard,
On est tiré comme un canard,
Si l'on sort, gare au traquenard
Où l'on s'empêtre .....
Dès que l'on quitte son bourbier
On reçoit un lingot d'acier,
Car l'on est chasseur et gibier
Au Bois- le-Prêtre !
Voilà. Pas très gai, tout ça, me dira-t-on. Je le reconnais, c'est parfois éprouvant de regarder la réalité en face. Il reste que ce côté tragique ne résume pas tout le spectacle. J'aurai l'occasion quelque jour de développer ses aspects plus légers, quasiment de comédie par-delà la mort omniprésente.